Introduction
Le mal dans le monde aujourd'hui est un constat universellement reconnu. Il prend des visages différents. En tant que chrétien, nous devons considérer cette réalité du mal comme une entrave à l'accomplissement de l'oeuvre de l'Esprit Saint en nous. Ce n'est que par le combat spirituel que chacun de nous peut atteindre le bien que Dieu nous en indique le chemin àprendre. C'est également cet itinéraire qu' Evagre le Pontique nous convie de suivre en nous proposant son expérience de Père du Désert. La première phase de ma réflexion consistera donc à montrer de quelle façon, en véritable guide spirituel, il nous apprend à lutter contre nos passions. L'étape de purification, condition sine qua non dans une démarche spirituelle, n'est pas suffisante d'après ce théologien pour parvenir à la vie gnostique. Elle nécessite une étape de constante vigilance concernant nos pensées. C'est ce à quoi, la deuxième partie de mon analyses'efforcera d'expliquer.
1.L'ascèse ou le combat contre nos passions
Évagre naît vers 345, à Iborra, dans la province du Pont (d’où son surnom, « le Pontique ») en Asie Mineure. Ayant reçu une bonne culture classique, il sera chargé de proclamer l'EcritureSainte dans la liturgie pour Basile de Césarée, un grand théologien de l'époque. Ensuite, il rejoint àConstantinople,Grégoire de Naziance, qui va l'ordonner diacre. Evagre sera fortement séduit par l'enseignement des Pères du désert dans la lutte contre les passions. Vers l'âge de quaranteans, il se rendra sur le site monastique de Kellia. C'étaient des cellules dispersées dans un immense désert dans lesquelles les moines consacraient leur quotidien à la méditation de la Bible et aux tâches domestiques. C'est à cet endroit qu' Evagre, marqué par la pensée d'Origène, rédigea une oeuvre importante sur l'ascétisme. Comme le prophète Jérémie, les moines des premiers siècles obéirent à l'injonction de l'Eternel en faisant oeuvre de chasteté.1 Pour cela, le moine doit s'isoler du monde et accomplir l'anachorèse2. L'isolement et le renoncement sont nécessaires pour lui permettre d'atteindre un état de tranquillité appelé l’hésychia. Cet état va rendre le moine disponible pour la vie contemplative.”3. L'hésychia se caractérise par la garde de la cellule. La solitude est de mise. Cependant, l’homme a en lui, à la fois cette capacité à vivre selon les Commandements du Seigneur mais aussi cette inclination à pêcher. En effet, en fin psychologue, Evagre sait que cette tranquillité extérieure ne garantit pas forcément l'atteinte d'une purification totale des passions
3 Evagre Le Pontique, Des bases de la vie monastique, $ 2, 1253 B
2 Dans la religion chrétienne, un anachorète est une personne qui s'est retirée de la société séculière pour des raisons
religieuses, afin de mener une vie ascétique consacrée à la prière et à l'Eucharistie
1 Jérémie 16,2
chez le moine. En effet, cet état acquis dans la solitude du désert si nécessaire soit-il, n'est en revanche, pas suffisante. Il pourrait conforter le moine dans l’illusion d’avoir atteint le sommet spirituel et du coup provoquer chez lui une rupture dans son cheminement vers la sainteté. C'est pourquoi Evagre évoque un autre état incontournable mais plus difficile à atteindre dans ce cheminement spirituel. De quoi s'agit-il ?
2 "L'apathéia", condition nécessaire pour aborder la vie gnostique.
Le moine qui a atteint l'hésychia et débarrassé des soucis du monde matériel, n'est pas prêt pour autant pour l’ultime étape qui est la communion avec Dieu. En effet, l'anachorète qui vit hors du monde, n'est pas libéré des pensées. Le combat spirituel nécessite selon Evagre une vigilance constante de nos pensées derrière lesquelles les démons sont actifs. Ceux-ci nous éloignent de notre désir du Bien qui est Dieu. Pour pervertir les hommes, ils se servent d'objets ou d'autres hommes. Pour le moine, les démons essaieront de manière plus subtile de le tenter directement. Ces pensées constituent donc des obstacles dans un parcours spirituel authentique. Evagre en distingue huit qui les appelle des” logismoi ". Logismoi est un terme d'origine grecque désignant les pensées tentatrices. Ces pensées sont un obstacle à la prière. La première est celle de la gourmandise, puis vient celle de la fornication, la troisième celle de l'avarice, la quatrième celle de la tristesse, la cinquième celle de la colère, la sixième celle de l'acadie , la septième celle de la vaine gloire, la huitième celle de l'orgueil. Pour lui ce n'est pas tant d'avoir de mauvaises pensées qui est important mais de les laisser corrompre notre esprit. Ces mauvais penchants humains s’opposent aux vertus. Ce deuxième état qui mène le moine à aborder la vie gnostique s'appelle l'apathéia qui signifielittéralement « absence de passions » et « tranquillité de l’âme » parvenue au détachement parfait.Pour passer de l’ hésychia à l'apathéïa, Evagre indique une méthode qui consiste à purifier la partie passionnée de l'âme. Elle se nomme “pratique” et nécessite chez le moine un esprit de discernement pour ne pas tomber dans les pièges du démon. Comme Platon, Evagre conçoit l'âme en trois parties. Pour lui, les passions siègent dans la partie concupiscible et la partie irascible de l'âme. Pour s'émanciper de ses pensées, le moine doit guérir de façon progressive ces deux parties de son âme.
Conclusion
Pour ce philosophe du désert donc, l'objectif de la vie spirituelle consiste à passer par des phases successives de purification qui nous permettent de grandir dans la contemplation de Dieu. Cette quête du divin nécessite que le moine prenne de la distance par rapport à la vie ordinaire, recherche la solitude. Cependant, dans la pensée évagrienne, ce qui pourrait apparaître paradoxale d’un prime abord est que la solitude n’exclut pas la solidarité. En effet, la vie contemplative n’empêche pas le croyant d’être relié à son prochain et à l'Église. C’est en vivant hors du monde, que le moine vit mieux le monde.
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